1.1.1. Plan stéréo et dramaturgie

En relief, l’espace de jeu possible est délimité par une pyramide dont le sommet se situe sur l’œil du spectateur et dont les arrêtes sont délimitées par l’écran (elles se prolongent à l’infini).


En vert, nous avons représenté l’espace derrière l’écran et en rouge, l’espace dans la salle (en jaillissement). Il est à noter que chaque spectateur perçoit une pyramide dont le sommet se confond avec son oeil (en savoir plus), ce qui veut dire que lorsqu’un acteur pointe son doigt sur la caméra, chaque spectateur aura l’impression d’être désigné, indépendamment de sa position dans la salle.

Par le réglage des caméras en prise de vue ou par le réalignement en post-production, il est possible au réalisateur de choisir l’emplacement de son sujet à l’intérieur de ce volume; c’est donc un véritable outil de mise en scène à l’instar de la profondeur de champs ou de la focale.

Si vous voulez en savoir plus sur cette pyramide, reportez vous à l’article convergent ou parallèle?.

Nous avons choisi trois films relief aux approches différentes pour illustrer la problématique du choix de l’emplacement du plan stéréo :

Dial M for Murder (1954, Alfred Hitchcock) ou l’économie du jaillissement

Dans la filmographie de Hitchcock, ce film (prévu pour une exploitation en relief) se situe entre Rope (où le réalisateur expérimente la négation du découpage) et Rear window (où le découpage est entièrement articulé autour du point de vue du personnage principal).

Selon ses propos, Hitchcock n’a rien changé à sa manière de filmer, tant au niveau du rythme que du découpage. On peut toutefois remarquer une tendance systématique à placer des avant-plans parfois très artificiels comme des lampes ou des bouteilles. Il n’aurait vraisemblablement pas cadré de cette manière pour un film en 2D. C’est clairement ici un procédé pour renforcer la profondeur en plaçant des objets à la hauteur du plan stéréo.

Le jaillissement est utilisé uniquement dans deux sommets dramatiques du film (la main de Grace Kelly qui se tend vers le spectateur et la clé exhibée par le policier alors qu’elle était cachée sous le tapis). Exceptés ces deux moments ponctuels, les sujets se situent en arrière de l’écran, rapprochant l’espace de jeu d’une scène de théâtre.


Ces apartés fonctionnent parfaitement car ils sont entièrement accordé à l’espace de leur représentation.
Les flèches ou les lances que l’on peut voir la plupart du temps ont un aspect irréel (bien que spectaculaire) car il y a trop de discontinuité entre l’espace scénique et l’espace de la salle (d’ailleurs, il y a eu quelques tentative de les relier par des moyens assez ridicules comme le fait de projeter de grosses pierres en mousse sur le public au moment où le héros était confronté à cette situation). Cela pose la question du sujet en cinéma relief ; en effet, la sensation de réalité plus grande (et du coup le rapprochement avec un art de la scène) impose-t-il des sujets en accord avec ce nouvel espace de représentation?

Un autre moment intéressant du point de vue du relief est la scène où le mari pénètre dans la pièce alors que Grace Kelly est avec son amant. Le réalisateur filme la porte sur laquelle se dessinent les ombres des deux personnages, sujet plane par excellence. Lorsque le mari ouvre la porte, le volume de son corps contraste fortement avec les ombres qui s’écartent en sa faveur, donnant ainsi à son entrée un impact renforcé. Hitchcock pratique à ce moment-là une coupe dans l’axe, cadrant à nouveau les trois protagonistes au relief retrouvé.

Polar express (2004, Robert Zemeckis) ou la maximisation de l’effet.

Ce long-métrage tourné en Motion Capture a été pensé pour le relief. On y retrouve le style du réalisateur qui recherche le spectaculaire en premier lieu. En effet, le point de vue est principalement dicté par la maximalisation des effets (vitesse, espace, dynamique du plan) . Par exemple, le réalisateur n’hésite pas à rendre une page de livre ou un sol transparent pour y placer la caméra.

Le jaillissement est utilisé pour créer des effets sans qu’il y ait forcément une justification dramaturgique (la main de Tom Hanks qui montre la voie de chemin de fer, le chasse-bestiaux du train qui jaillit dans la salle,…).


Le réalisateur utilise également l’espace de la salle pour impliquer physiquement le spectateur dans l’action. Par exemple quand la goupille du frein est éjectée vers la salle avant de se planter dans la glace. Il y a aussi le billet magique qui flotte littéralement devant notre nez avant d’être récupéré par les héros. Ces effets se rapprochent de ceux que l’on peux voir dans les parcs d’attractions, notamment dans les « rides » (dont zemeckis reprend fidèlement le procédé dans une séquence).

Fly me to the moon (2008, Ben Stassen) ou le jaillissement permanent.

Dans ce long-métrage en images de synthèse créé pour le relief, Ben Stassen utilise presque exclusivement l’espace en jaillissement (devant l’écran). Il y a toutefois quelques plans situés à l’arrière du plan stéréo (pour les plan larges par exemple).
Ce parti pris conditionne assez clairement le choix du sujet et le cadre. En effet, afin d’éviter l’erreur de fenêtre, les sujets doivent être de petite taille afin de pouvoir se mouvoir dans toute la pyramide (un camion en jaillissement, par exemple, atteindrait très vite les limites de la pyramide). Ceci explique en partie que Ben Stassen ait choisi des mouches comme héros. En ce qui concerne le cadre, un problème analogue se pose ; en effet, comme il est souvent gênant de couper un sujet en jaillissement, celui-ci aura tendance à être centré.
Ben Stassen se permet toutefois des entorses à cette règle dans le cas ou le sujet est coupé par le bord inférieur du cadre.

Par ailleurs, on peut remarquer qu’il opte pour une petite profondeur de champ dans les plans de mouches en macrostéréoscopie (entraxe de quelques millimètres). Ce choix a pour effet de détacher de manière accrue les mouches par rapport aux lointains (qui se situent généralement à la hauteur de l’écran).

Pour en savoir plus, lire l’interview de Ben Stassen.