1.1.0 Vers un cinéma total?

« Le cinéma subit depuis sa naissance une évolution constante. Elle s’achèvera lorsqu’il sera en état de nous présenter des personnages en ronde bosse, colorés, et peut-être odorants; lorsque ces personnages se libèreront de l’écran et de l’obscurité des salles pour aller se promener sur les places publiques et dans les appartements de chacun. La science continuera de lui apporter de petits perfectionnements. Mais il aura atteint, en gros, son état parfait. Cinéma total. »
René Barjavel, cinéma total, Denoël, paris, 1944

« L’idée cinématographique tend à une représentation totale et intégrale de la réalité, elle envisage d’emblée la restitution d’une illusion parfaite du monde extérieur avec le son, la couleur et le relief. Si le cinéma au berceau n’eut pas tous les attributs du cinéma total de demain, ce fut donc bien à son corps défendant et seulement parce que les fées étaient techniquement impuissantes à l’en doter en dépit de leur désirs. »
André Bazin, le mythe du cinéma total, critiques, 1946

A l’origine, le cinéma est une suite d’un grand nombre d’inventions visant à une illusion parfaite du monde sensible. La stimulation de tous les sens est en effet une vieille chimère qui semble hanter l’esprit des hommes. Ce serait, en quelque sorte un pouvoir divin, celui de créer un monde crédible et sous tous ses aspects, comme un triomphe sur la mort. On peut voir le relief dans ce contexte comme étant une étape supplémentaire vers la perfection de l’illusion.

« …la photographie, revivifiée, complétée et couronnées par le stéréoscope, est tellement supérieure à elle-même que le jour viendra bientôt où toutes les images photographiques s’associeront par couple pour reproduire dans leur vérité, dans toute sa beauté, douce et sévère, la nature immatérielle et vivante. »
Abbé Moigno dans le cosmos, 1852

On peut observer une double évolution dans l’histoire des techniques du cinéma, stimulant le physique et le psychique:

stimulis PHYSIQUES
Le cinémascope, le relief, les écrans circulaires visent à faire sortir l’image de l’écran, l’agrandir, transformer la surface de projection frontale en dispositif immersif afin de recréer des sensations proche de la réalité.

stimulis PSYCHIQUES
Le montage et le découpage ainsi que les effets de prise de vue (mouvements d’appareils, gros plans, caméra subjective,…) visent à faire pénétrer le flux des images dans l’esprit du spectateur.
Le cinéma se rapproche de la vision onirique.

La question est de savoir jusqu’à quel point ces deux tendances sont cumulables et de quelle manière elles contribuent à enrichir le langage existant. Selon François Niney, « le cinéma devient un Art non pas en imitant le réel mais en transposant la réalité au sein d’un nouvel espace imaginaire circonscrit par les jeux du champ et du hors-champ, rythmé par les associations et suspens du montage. Le 7ème art naît à la surface de l’écran. »

Le cinéma total sonnerait-il la mort de l’Art cinématographique? Peut-on expliquer les réticences aux évolutions techniques par le fait qu’elles rendent ce vieux phantasme toujours plus accessible? La recherche de sensations se fait-elle au détriment de la recherche d’émotions?

« Moins on voit plus on croit »
Jacques Tourneur, dictionnaire du cinéma, Larousse, paris, 1992

Il est vrai que l’expression artistique existe dès qu’il y a interprétation (et donc choix) et non simplement reproduction du réel. Or, dans le cas du cinéma en relief en projection frontale, on est loin d’une reproduction. On est bien dans le domaine de l’imaginaire comme dans le film plane (avec ses deux grandes composantes: la composition dans le cadre et le découpage-montage de plans). Il serait donc absurde de parler de cinéma à priori plus immersif que le film plane. L’image relief stimule toutefois la vision de manière différente (voir le chapitre dédié) et il faut évidemment le prendre en compte.