5.3 workshop 3: tournage du trio du fantôme de S. Beckett

QUAND ?

Du 8 au 13 mars 2010

OU ?
ECAL, Renens

QUI ?

7 élèves de 2ème année, département cinéma

Encadrement : Sam et Fred Guillaume, Laurent Kempf, Renato Berta

Objectifs

Réaliser une version relief de Trio de fantôme, à partir du film homonyme de Samuel Beckett (Ghost Trio, 1977).

Il nous a paru pertinent d’expérimenter une mise en scène relief pour cette pièce car le trouble qu’induit le procédé (nous SAVONS que le sujet reproduit n’existe pas réellement puisque nous ne pouvons pas le toucher, mais nous le VOYONS dans l’espace) prolonge l’ambiguïté de l’univers de Beckett d’une manière cohérente avec le propos et, à notre connaissance, jamais explorée.

Ce film très épuré permet de synthétiser les questions esthétiques traitées lors de la recherche. Il nous semblait important d’accompagner la publication finale en cours d’édition avec un projet concret servant de fil rouge.

Le décor

Dans le Trio du fantôme, le dispositif dramaturgique repose sur un espace délimité par trois murs et un sol de même nature. Nous avons exacerbé cette idée de boîte en faisant coïncider la dimension de la pièce avec le cadre de l’écran et en incrustant un plafond virtuel (grâce à la technologique numérique). Lorsque la pièce est filmée frontalement en plan large, l’espace scénique et l’espace de la narration se confondent.
L’espace de jeu se situe derrière l’écran, comme si ce dernier constituait le quatrième mur de la pièce. Cette option est encore renforcée par l’axe unique de prise de vue, voulu par Beckett. Seul l’enfant dans le couloir est traité en jaillissement lorsqu’il est cadré en gros plan, comme pour marquer son intrusion dans l’espace de S.

Les personnages

V, Claire Deutsch

Le premier fantôme de la pièce est une voix féminine désincarnée, qui tient le rôle de maître de cérémonie. La voix prend le contrôle dès le début, jusqu’à ce que S défasse ses schémas avant de contredire son autorité au milieu de la pièce. De plus, la Voix se place à un niveau extra diégétique: elle s’adresse directement au spectateur en prenant en compte la situation spécifique et bien réelle de ce dernier placé devant l’écran (en l’occurrence un téléviseur), tandis que S ne semble pas avoir conscience de son existence.

S, Branch Worsham

La seconde figure fantomatique est S, décrite par la voix comme « seul signe de vie ». Mais S est-il aussi vivant que veut nous faire croire la voix ? A-t-il conscience de lui-même ? A-t-il conscience d’être perçu et donc d’être ? Si l’on se penche sur les notes de mise en scène de Beckett, on remarque que tout tend à dématérialiser, à désincarner ce corps. On sait que Beckett a été marqué par l’essai de 1810 de Heinrich von Kleist sur le théâtre de marionnettes. Kleist considérait la marionnette comme parfaite, transcendant les limites et les failles du corps humain, mais aussi le fardeau de la conscience de soi qui, selon lui, détruisent la grâce et le charme de l’homme. L’humain manque d’unité, de grâce, d’harmonie, de symétrie et d’économie contrairement à la marionnette.
On retrouve cette idée dans les indications de jeu pour S qui doit sembler détaché de la gravité et, selon une indication de l’auteur, « se déplacer comme un fantôme, à travers l’espace, sans propulsion visible. » Beckett recherchait une précision et une économie dans les mouvements de l’acteur pour atteindre la grâce maximale propre à la marionnette telle que décrite par Kleist. Le parallèle avec la marionnette est également intéressant dans la relation de S avec V, qui semble tirer les ficelles (bien que S prenne son indépendance par
moments). V anticipe les actions de S, qui semble dénué de conscience. Dans ce contexte, il faut noter que S ne produit aucun bruit de pas lorsqu’il se déplace, il ne laisse pas non plus de trace derrière lui.
S est donc une figure qui se situe à la frontière de l’humain et de la marionnette, flottant entre le réel et l’imaginaire, entre l’être et le non-être. Le relief, dans ce contexte, peut donner à notre avis une juste représentation de S.

L’enfant, David Guillaume

La troisième figure de la pièce est l’enfant qui, comme dans Godot, représente le messager qui annonce que la personne tant attendue ne viendra pas. Son rôle peut être interprété de multiples façons. Représente-il S jeune ? Est-il la mort elle-même ? Est-il simplement le messager de la Voix, représentant du coup un pont entre le monde extra diégétique et l’univers diégétique ?
Il est intéressant de noter que le bruit de ses pas est audible et qu’il laisse clairement des traces de pas sur le sol, contrairement à S. Nous avons souligné cela par le seul effet de jaillissement du film qui le fait littéralement sortir de l’écran comme un messager du monde réel.

La musique

Dans la pièce, Beckett donne une large place au largo du trio no5 en ré, opus 70 de Beethoven, connu sous le nom de « trio du fantôme ». L’auteur, grand amateur de musique, était conscient de l’association du deuxième mouvement avec « Macbeth » qui serait une esquisse pour un opéra abandonné par Beethoven.
La pièce qu’il écrit pour la télévision sera ainsi fortement imprégnée de ces deux œuvres, dans ses thématiques et dans son atmosphère.
Beckett prend le parti de faire entendre la musique uniquement quand le personnage est assis, penché sur un magnétophone. Cette musique qui semble refléter l’intériorité du personnage, vient en réalité de l’extérieur, créant une ambiguïté d’où né la poésie.

La lumière

La lumière est toujours faible chez Beckett, car il évoque la mémoire, la nuit et les rêves. Le choix du noir-blanc va dans le même sens, la non-existence et la mémoire s’exprimant mieux ainsi. Il note également que éclairage ne doit pas créer d’ombres, l’idée étant de renforcer l’aspect immatériel de l’espace.
Beckett était convaincu que l’image associée au son atteignait directement le cerveau du spectateur-auditeur, influençant son état psychique.

Le tournage

Le film, d’une durée de 27 minutes, a été tourné en une semaine dans le grand studio de l’écal à Renens. Encadrés par Sam et Fred Guillaume, Renato Berta et Laurent Kempf, les étudiants ont pu se familiariser avec les problématiques liées au relief. Le dispositif scénographique très épuré s’est avéré un formidable support didactique car il ne laisse aucune place au hasard ou à l’approximation. Il a fallu faire des choix de cadre et de mouvements d’appareil radicaux et tenir la ligne sur l’entier du film.